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Saint Laurent des Eaux : Le fiasco d’un démantèlement impossible

Nous sommes le mercredi 8 décembre à Mer et arrivons à une réunion qui regroupe environ 70 personnes. Quelques écologistes, une poignée de salariés de la Centrale, des habitants de Mer et des ONG.


Cette réunion, selon l'ordre du jour indiqué, concerne le démantèlement des deux premiers réacteurs de la centrale dénommés SLA1 et SLA2. Ils faisaient partie des 6 réacteurs français de la filière graphite-gaz, abandonnée dans les années 1970 au profit de la filière REP (Réacteur à Eau Pressurisée) avec ses 58 réacteurs. Les deux réacteurs de St Laurent ont été mis en service en 1969 et arrêtés définitivement en 1992 et 1993 après les deux très graves "incidents" qu'ils ont subis en 1969 et en 1980. Depuis 30 ans que ces réacteurs sont arrêtés, seuls les éléments électro-mécaniques non contaminés ont été retirés mais l'essentiel est resté en l'état. D'une part l'immense structure métallique qui supporte le coeur du réacteur. D'autre part, les déchets de chemises graphite-gaz, fortement radio-actifs, stockés dans deux silos souterrains qu'EDF essaie de colmater de temps en temps pour éviter les infiltrations de la nappe alluviale. EDF nous racontait en CLI dans les années 2000 que ces déchets partiraient dans un centre de stockage spécifique en région Champagne (devenue poubelle nucléaire). Sauf que ce stockage n'a jamais été créé et ne verra sans doute jamais le jour.


La réunion débute sur un diaporama illisible sur un petit écran de rétroprojecteur au fond d’une grande salle. Un intervenant parle dans son masque et débute un exposé technico-administratif, chargé d'acronymes et de sigles : rappel des lois, règlements et autorisations administratives, qui noie l’auditoire dans des informations longues et peu utiles. A côté de lui, les divers représentants habituels. Un journaliste de la Nouvelle République est chargé d’animer la réunion et de distribuer la parole. Après que l’on a expliqué au public que la CLI est un organisme qui permet une totale transparence, la réunion entre enfin dans le vif du sujet. (L’un de nos élus siégeant à la CLI, nous savons que celle-ci n’est pas nécessairement mieux informée par EDF et qu’elle a été rarement réunie ces dernières années. La dernière réunion nous a permis de poser des questions sur l’incident, questions auxquelles nous attendons toujours des réponses concrètes.)


Le démantèlement de la centrale nucléaire de Saint Laurent était censé être traité à l'ordre du jour. Très vite, nous comprenons que le sujet à été évacué. Il n’est question que des déchets radioactifs de graphite qui sont entreposés en bord de Loire : 2 000 tonnes tout de même ! Plus du tout du démantèlement des 2 anciens réacteurs arrêtés depuis une trentaine d'années et qui ont pourtant connu les deux plus gros “incidents” radioactifs connus en France. La question des réacteurs A1 et A2 est toutefois posée par un participant, et la réponse évasive évoque l'horizon 2055...


Revenons donc aux déchets de graphite. Grâce à une question dans la salle, nous avons pu avoir une idée du volume global à traiter soit 5 000 mètres cubes provenant des deux silos. Ces déchets vont simplement être transvasés dans un entrepôt à construire sur le site, en attendant une hypothétique ouverture de centre de stockage qui sera aussi dédié au matériel qui aura servi au transvasement et qui sera lui-même devenu radioactif. A terme, une partie des déchets serait expédiée dans d'autres centres... désignés comme "exutoires". Encore du jargon ! Il va falloir créer un poste novlangue à l'Académie Française pour un représentant de la filière nucléaire. Il s'agirait donc de Soulaines et de Bure, noms lâchés à demi-mots par le conférencier qui promet le transfert des déchets de Saint Laurent vers l’un de ces sites exutoires à l'horizon 2040, bien que le résultat de l'enquête d'utilité publique faite récemment à Bure reste encore inconnu à ce jour.


Ce que l’on comprend, c’est que EDF va d’ici là se dépêcher de retirer les déchets nucléaires stockés dans des silos souterrains pour les concasser, afin de réduire leur volume, puis les stocker dans un entrepôt en béton sur sol qu’il va falloir bâtir. Il faudra aussi démonter les bâtiments et machines construits pour cette délicate opération et les y stocker, leurs matériaux étant eux-mêmes devenus radioactifs.


La robotique et la technologie pour manipuler les matériaux les plus radioactifs seraient utilisées pour ce faire, de manière en partie expérimentale et donc hypothétique. Le présentateur nous apprend que EDF s’appuie sur l'expérience de Vandellos en Espagne qui a démantelé un réacteur du type de St Laurent A1 et A2 ( Le réacteur Vandellos a connu une première phase de démantèlement en 2003 qui a duré 63 mois de chantier pour 93 millions d'euros. Cependant, le réacteur de Vandellos n'a pas encore été démantelé entièrement et attendra de l'être encore pendant 30 ans.*) La pollution radioactive que pourrait engendrer cette opération, les éléments pulvérulents radioactifs rejetés dans l'atmosphère et l'eau n'ont pas été abordés plus avant. EDF affirme qu'il y a peu de risques de dispersion de poussières radioactives et qu’ils mettront en place des hottes aspirantes efficaces à 99%.


A la question “Quel sera le prix de l’opération ?” Le présentateur dit ne pas pouvoir donner la somme. "EDF a provisionné les coûts" sera sa seule réponse, en insistant sur le fait qu'EDF est une entreprise responsable (la dette d’EDF était de 47 milliards il y a trois ou quatre ans. L’État, c’est à dire nous les contribuables, paiera donc dans les décennies à venir. Combien cela coûtera, on ne saura pas... ).


Pour réaliser ces travaux, EDF fera des appels d'offres d'ici à 2025. Ce sont donc des entreprises privées qui assureront les travaux avec le risque de sous traitance que cela induit. Les travailleurs seront formés par EDF. A la question : “sous quel type de contrat ? CDI ? CDD ? Intérim ?” Là encore EDF n'a pas répondu, et pour cause, ce ne seront pas des salariés d'EDF.


Ahurissant donc que EDF ne sache pas ni quand, ni comment, ni combien coûte le démantèlement du site, alors que tout projet industriel doit prévoir l’arrêt de l’exploitation et son démantèlement. EDF semble ne pas avoir de plan défini et clair sur le démantèlement complet des deux réacteurs A1 et A2, arrêtés depuis 30 ans et des silos de combustible. Peut-être d’ici à 2055, ou pas.


En conclusion, nous demandons à EDF,comme elle s’était engagée à le faire en début de la réunion :

  • de communiquer en toute transparence le coût provisionné pour le déplacement des déchets de graphite,

  • de détailler avec précision les techniques qui seront mises en oeuvre et les mesures qui seront prises pour éviter les pollutions du milieu et de l’atmosphère lors de l’opération de déplacement des déchets,

  • de détailler les techniques de mise en œuvre du hangar prévu, le tonnage de béton nécessaire pour la création du hangar de stockage et de communiquer son emplacement prévisionnel (site inondable?),

  • De nous donner un calendrier clair et chiffré pour le démantèlement complet des réacteurs A1 et A2. La date de 2055 fut évoquée comme début probable du démantèlement en réunion, mais n'apparaît sur aucun document.

Pour 21 ans d'exploitation au vingtième siècle, plus de 100 ans pour démanteler la centrale, et au moins 100 tonnes de déchets produits par an, à gérer par nous, nos enfants, nos petits enfants, nos arrières petits enfants, nos arrières arrières petits enfants... pendant plusieurs milliers d'années. Les deux immenses carcasses et les 8000 tonnes de déchets hautement radioactifs pour des centaines de milliers d’années sont toujours sur le même site à proximité de la Loire et des nappes phréatiques, qui alimentent notamment la ville de Blois pour l'eau potable. Tout reste stocké sur place, une partie des déchets va être déplacée de quelques mètres (pour quelques dizaines de millions d’euros encore ? ) en attendant une solution qui n’existe pas.

Sur le fond, les réalités budgétaires de la filière nucléaire apparaissent de plus en plus sombres. Au-delà des coûts officiels dont la chambre des comptes précise qu’ils sont 2 fois plus importants que les énergies renouvelables, les coûts du démantèlement (non intégrés aux coûts d’installation) restent très opaques. EDF refuse de répondre à ces questions pourtant essentielles dans ces réunions dites d’information. Il nous faut aujourd’hui investir massivement dans les renouvelables et assumer cet héritage nucléaire en engageant sérieusement le démantèlement.


*source : Actu-environnement, Le nucléaire européen face à son obsolescence, Agnès Sinaï, journaliste, rédactrice spécialisée.


L'immense structure métallique qui supporte le coeur du réacteur vieillit, se corrode, et risque un jour de s'affaisser.
Réacteurs SLA1 et SLA2 : La structure métallique qui supporte le coeur du réacteur vieillit, se corrode, et risque un jour de s'affaisser.


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